la ReFeRe
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Album n°39 (Les Ouches)
The Promenade - H0e/H0n3 scale (1/87) 9 mm gauge freelanced model railroad
« L’art descend sur la voie »
Un des slogans les plus galvanisants d’un programme innovant pour
rendre la vie plus belle au personnel de la ReFeRe et rendre la ReFeRe
plus belle.
Les mots en brun sont expliqués en bas de page, ceci à la demande générale d'une partie du public.
Sur des espaces libérés des bâtiments, matériels, et installations ferroviaires, débarrassés des tas de détritus et résidus, nettoyés des plus gros vestiges et dépollués en principe, sont nés et vont évoluer des lieux récréatifs et esthétiques. Des allées avec des arbres, des jardins avec des clôtures, des parcs parcourus de séguias, des cabanes de jardin avec de quoi boire, des socles avec des statues, des galeries avec des cimaises, des installations signées des artistes les plus contemporains… Sans compter des cages avec des animaux, des bacs avec des plantes et des bancs avec des gens. Comme promis.
Le premier site paysagé dans le cadre de ce magnifique programme est
une plateforme ferroviaire, puissant caisson parallélépipédique perché,
évidemment en concrete. Il se nomme Les Ouches. Certes, ailleurs sur la Planète, on a déferré, engazonné, planté, décoré, meublé des viaducs ferroviaires : la ligne de la Bastille à Paris (France) et la meat line à New York (États-Unis d'Amérique), notamment, ont eu ce sort ; ce qui en résulte est toutefois incomparable au site des Ouches.
Les voies sont restées en place. N’y circulent guère, officiellement,
que des trains de plaisir et des automoteurs de découverte, ainsi que
des prototypes et du matériel historique lors d’occasions spéciales ;
sur certaines, stationnent des voitures et des wagons réaffectés ou du
matériel encore plus historique, éroué .
Quelques éléments paraferroviaires ont été conservés, dont une
extraordinaire façade, qu’on dirait empruntée au bâtiment directorial
de l’ASAF et qu’on n’a pas
démolie par déférence. Ou, à l’autre bout, une partie de la structure
toute en poutres d’un ancien hangar et un atelier proche, seulement
scalpé. Un exemple de skeuomorphisme réussi !
Font contraste avec ces représentants du règne ferroviaire ceux du
règne végétal. Les arbres et les plantes présents ne sont pas des
végétaux banals – qui crèveraient immédiatement dans l’atmosphère
locale, un peu alourdie par des gaz et des particules particuliers. Ce
sont des créations de plasticiens qui ont su dompter le câble retors
pour créer des sujets sympodiaux, des massifs pénicilliformes et des bordures xystroïdes, autant d’artéphytes innovants. On leur saura gré d’avoir refusé la facilité de munir troncs, branches et tiges de feuilles ou pis encore de fleurs.
Parmi les caisses de wagons éroués et réutilisés pour des activités
culturelles et associatives, plusieurs sont dévolues au modélisme
ferroviaire – qui passionne petits et grands - ; on peut admirer en
leur sein des maquettes au 1/87e de plusieurs îlots de la ReFeRe, d’un
réalisme épatant, où le carton figure le concrete avec une fidélité
confondante (et admirable). Le Musée des mondes imaginaires de
Sauvigny, dont c’est une antenne, confirme là encore une fois son
rayonnement et sa dimension internationaux.
Non loin de là, un potager, consciencieusement reconstitué d’après des
documents trouvés via Google. Selon les experts en légumiculture
ouvrière ouest-paléarctique, tout y est, bien reproduit et correctement
disposé : les instruments, les jardiniers, le mur en briques couronné
de tessons de bouteilles, et le linge qui sèche masquant le stock de
pesticides en bidons taille familiale.
Ne vous méprenez pas et ne saluez pas en espérant un signe aimable
en retour les bonshommes et les bonnes femmes vêtus de gris plus ou
moins foncé et à la peau rouge magenta : ce sont des statues, grandeur
nature. Une cohorte de ces mutants en plastoc installés comme sur des
gradins figure le public nombreux et admiratif de l’Expo ; certains
sont collés assis sur le bord d’un quai haut en guise de garde-corps ;
d’autres fixés solidement sur les bancs, en plein milieu, font
d’originaux, décoratifs et humains dispositifs anti-clochards. D’autres
emplois sont à l’étude. On aperçoit, au niveau inférieur, au fond d’une
trouée, l’atelier qui les prépare et sur le quai les produits finis en
attente d’expédition.
Rare dans l’emprise de la ReFeRe, ce paysage résolument idyllique,
agreste, horticole, édénique, jardinier, arboricole, paradisiaque,
bucolique et courtilier est l’empreinte d’un effort particulier du directeur-en-chef, évergète
aussi convaincu que dynamique, pour embellir l’environnement de son
personnel dont il attend reconnaissance émue et productivité accrue.
Offert à la contemplation des visiteurs, ce lieu unique – classé
Trésor intergalactique - se découvre, se révèle et s’apprécie l’esprit
ouvert en s’interdisant de chercher trop ardemment le pourquoi du
comment. Qui existe mais n’est pas toujours révélé.
En parcourant à pied ou en segway ou des yeux ce lieu selon le cheminement labyrinthique imposé par les artéfacts
qu’il contient et en faisant très attention aux trains qui surgissent,
on n’échappe pas à la pensée que les objets présents, disposés selon
des lois complexes de l’équilibre et de la composition stochastiques, obéissant aux lois de la strepsidromie
– (a) pas une voie n’est posée strictement rectiligne et (b) le reste
non plus -, peuvent faire surgir la surprise de les trouver là plutôt
que dans un ailleurs où les références esthétiques seraient moins
maîtrisées et où il serait follement vain de vouloir chercher, fût-ce
avec toute l’indulgence dont l’homme bon est capable, le « lyrisme de
la matière [cette matière est le concrete, dont Bachelard a dû avoir la révélation secrètement] qui fait trembler d’émotion ».
L’art descend sur la voie
est un magnifique programme, qu’il soit admiré et surtout subventionné.
La réhabilitation des espaces péri-ferroviaires sous-jacents (hypogées)
et adjacents (inmontrables actuellement) est en cours ; les même moyens
concréturgiques de génie paysager tellement inventifs, tellement
efficaces, sont engagés au service du même projet tellement généreux,
tellement - comme aime à le préciser le directeur-en-chef - apodictique.
Mes vers fuiraient, doux et grêles,
Vers votre jardin si beau,
Si mes vers avaient des ailes
Des ailes comme l'oiseau.
victor@hugo.fr